Clôture de l’Assemblée générale des 4 & 5 juin 2014
Nous sortons de deux jours d’AG. C’est très important une AG. On ne s’était pas vus dans cette configuration, sur deux jours, depuis un an, depuis le congrès de Nevers. Un congrès où on a voté un rapport d’orientation qui doit orienter la vie du syndicat pour deux ans. On est toujours là-dessus, sur ce congrès et ce rapport d’orientation.
Ces deux jours, c’est l’occasion de nous interroger… puisqu’on est sur un temps un peu moins politique, un peu moins stratégique. On est dans un temps où on peut s’interroger sur nous, sur notre situation, sur ce qu’on a vécu depuis un an…. Et aussi sur ce qu’on a vécu depuis une semaine…
Parce que la semaine dernière a été riche en évènements. Il y a eu le CSO où la PAC a été définie, où il y a eu la réponse à tous les questionnements et à tout le travail qu’on a pu porter au ministère, dans toutes les réunions… Une partie des réponses, il y en a d’autres à venir. Et puis il y a une répression syndicale qui s’est abattue sur la Confédération paysanne. Et du coup on est au cœur de l’action.
En fait on est sur la lancée, on est sur la lancée de la semaine dernière. Ce CSO qui nous a un peu déçus, cette action des 1000 vaches… On est dans le cœur de l’action et aussi dans le feu des médias. On est dans le feu de la justice, ça c’est un petit peu moins marrant. Et on est aussi au cœur de la politique du gouvernement, on existe. Stéphane Le Foll a dit des choses tout à l’heure sur la chaine parlementaire sur la ferme des 500 vaches. C’est devenu la ferme des 500 vaches. Est-ce que c’est une victoire de la Confédération paysanne ? Je ne sais pas. Il en parle toujours et c’est déjà pas mal.
A l’issue de ces deux journées, on en est où ? Sommes-nous abattus par ce qui s’est passé depuis un an, par ce qui s’est passé depuis une semaine. Sommes-nous résignés ? Résignés par rapport à quoi déjà, par rapport à qui ? Par rapport aux politiques parce que si on est un syndicat agricole c’est qu’on a un rapport aux politiques. Aux politiques publiques j’entends, pas aux partis politiques, pas aux hommes politiques. Parce qu’à la Confédération paysanne on croit à la politique. On croit en la politique, on croit à l’action des gouvernants et des gouvernements. Parce qu’on est démocrates, parce qu’on est républicains, on a confiance en la force de l’Etat pour influencer les politiques, pour changer la vie des paysans, pour orienter les choses.
Et ça marche, les politiques publiques. L’histoire de la PAC l’a montré. Pas forcément dans le sens qu’on veut, mais une politique a une influence sur la vie des gens. Elle oriente, elle influe.
Nous pensons que les politiques et leurs financements, parce qu’en agriculture il y a des financements importants, doivent servir à peser, à marquer, à orienter les politiques agricoles et l’agriculture, et le devenir des paysans, et le nombre de paysans. Nous revendiquons qu’elles doivent être au service de paysans nombreux, et de paysans heureux. Parce que c’est important de prendre du plaisir dans son travail, d’en ressortir avec un certain bonheur. Moi je suis paysan parce que j’ai envie d’être heureux dans mon métier. Et je milite à la Confédération paysanne parce que j’aspire à ce que plein d’autres paysans soient heureux. Parce qu’il y a plein de paysans qui soufrent dans leur travail. Parce qu’ils sont victimes d’un système, et qu’à la Confédération paysanne, on estime qu’il est de notre devoir d’accompagner ces paysans vers des pratiques qui les rendent plus heureux et qui les rendent moins en souffrance.
Les politiques doivent, au sens et aux yeux de la Confédération paysanne, aller dans le sens d’une agriculture paysanne relocalisée et pourvoyeuse d’emploi. On en parle beaucoup de l’agriculture paysanne relocalisée et pourvoyeuse d’emploi. C’est notre projet, c’est la solution pour l’agriculture, c’est la solution pour donner un avenir à tous les paysans. C’est notre projet, c’est celui que nous construisons jour après jour individuellement sur nos fermes, collectivement avec nos voisins dans nos Cuma, peut-être demain dans les GIEE de Stéphane Le Foll, dans le cadre de son projet d’agro-écologie, quand on se le sera approprié, quand on l’aura passé à la moulinette agriculture paysanne, quand on en aura tiré la quintessence, et qu’on l’aura bonifié. Parce que c’est ça aussi le syndicalisme. C’est prendre les choses, se les approprier, les vulgariser, les mettre en place, tout en continuant de peser pour que les politiques continuent d’aller dans le sens dans lequel on veut qu’elles aillent.
Nous avons un projet politique. L’agriculture paysanne ce n’est pas un projet technique, c’est un projet politique. Ce projet politique il concerne la façon de produire, le nombre de producteur. C’est un acte politique. Les confédérés un jour un posé un acte politique en disant, notre projet, c’est ça, c’est l’agriculture paysanne.
Stéphane Le Foll nous a dit la semaine dernière qu’il veut sauver la production, c’est louable. Il y a des marchés, il y a des demandes émergentes… c’est louable. Ce n’est pas notre position. Notre position c’est qu’il faut sauver les producteurs, qu’en sauvant les producteurs on sauvera la production. Il y a une nuance. Cette nuance c’est l’emploi. L’emploi, la grande cause nationale du gouvernement. Et on continuera à rappeler à Stéphane le Foll et au gouvernement qu’il faut mettre l’emploi au cœur des politiques agricoles. Que l’emploi ce n’est pas quelque chose de réservé à toutes les corporations sauf l’agriculture.
Nous sommes face à quoi ? Nous sommes face à des politiques qui s’appellent la PAC et la Loi d’avenir. Aujourd’hui cette politique agricole commune, dans ce qu’elle a été arbitrée, la Loi d’avenir, dans son passage en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, il nous semble qu’elles accompagnent plus l’agrandissement et le détricotage de l’accompagnement régulé de l’agriculture, qu’elles n’inversent le mouvement.
La PAC par exemple, on se l’est appropriée. C’était un truc imbuvable, c’était hyper technique. On a beaucoup bossé. On a porté des revendications qui étaient réalistes. Le projet de la Confédération paysanne, s’il avait été mis en place, était crédible. Il était possible de le mettre en place. Parce qu’il était réaliste, parce qu’il était pertinent.
La PAC, elle a une volonté d’exclure les gens. Au mois de novembre, c’était hallucinant. A chaque réunion on proposait des exclus nouveau. Les moins de 10 vaches, les fruits, les légumes, ceux qui n’avaient pas le bac, et ainsi de suite. Il y avait une volonté d’exclure permanente. On s’est battus et on a gagné pour limiter l’exclusion. Et c’est un truc important.
La Loi d’avenir, c’est un truc de fous. C’est un travail de fourmis permanent. Il a fallu porter avec les équipes de salariés un nombre d’amendements incalculable. Il a fallu travailler d’arrache-pied pour aller chercher des choses. On a gagné, pas assez mais on a gagné des choses, on a freiné un peu le rouleau compresseur. C’est insatisfaisant mais c’est une base sur laquelle s’appuyer. Si on a pu gagner des choses sur la Loi d’avenir, donnons-nous les moyens d’en gagner d’autres en créant de nouveaux rapports de force, en travaillant peut-être encore plus.
On a aussi initié des débats dans le paysage agricole depuis un an. On a initié le débat sur l’industrialisation de l’agriculture. C’est violent l’industrialisation de l’agriculture et la ferme des 1000 vaches. C’est violent, pas au sens de la répression syndicale et de ce jeune de 19 ans qui a fait 48h de garde à vue, c’est violent parce que c’est le déni de notre métier. C’est le pied mis dans la porte par les industriels à l’intérieur même du corps de notre activité. Si on a voulu être paysan, c’est qu’on a un lien au sol, c’est qu’on a un lien à la nature, c’est qu’on a un lien aux animaux, c’est qu’on a un lien avec nos voisins, avec les consommateurs, c’est que des coopératives ont été crées par des paysans, parce qu’on a eu la volonté de structurer la production autour de notre métier, de ce qui fait qu’on est devenus paysans un jour. En fait les industriels nous ont bouffé une partie de l’amont, ils ont bouffé une partie de l’aval, mais ils n’arrivent pas à nous asservir assez dans notre métier, donc ils vont le faire à notre place. Ils vont faire des usines, ils vont y mettre des porcs, des volailles, des jeunes bovins comme à La Courtine dans la Creuse ou des vaches comme dans la Somme. Ils ont la volonté de faire notre métier, à notre place, et de lui donner un sens tout à fait différent que celui que nous lui donnons.
On a initié le débat sur l’industrialisation de l’agriculture, on initié et on a nourri le débat sur les VrTH, ces fameux OGM cachés. Il y a eu plein d’actions. Aujourd’hui, tout le monde sait que les VrTH sont des OGM cachés. C’est quelque chose d’important. On n’a pas réussit à freiner leur évolution, mais on continue de le revendiquer et d’initier ce débat.
On a pesé sur le débat sur les semences. On a gagné au GNIS. On était nombreux, on est rentrés. On a créé du rapport de force. On a négocié. On a gagné. C’est important de gagner, et c’est important de le dire.
On a travaillé aussi sur des chantiers qui étaient ouverts depuis longtemps. Le foncier, les vaches allaitantes, sur l’identification électronique en revendiquant la liberté de chacun à faire ce qu’il veut tant qu’il assure la traçabilité.
Nous avons été écoutés dans tous nos combats, mais pas assez entendus. Inévitablement pas assez entendus. On a créé du rapport de force. Depuis l’automne on s’est dit que, face à ce gouvernement, il y a des lobbies plus puissants que nous, ou que leur vision de la chose agricole n’est pas la même que la nôtre. Donc on a créé du rapport de force pour pouvoir aller négocier, pour peser, pour dénoncer, mais aussi pour proposer, et construire. Construire, c’est simplement prendre ce qu’on a pu prendre sans pour autant renier l’idéal qui est le notre. On a pris des choses qui rentraient pour partie dans notre projet, on n’est pas des jusque boutistes. On prend tout ce qui peut changer au quotidien la vie des paysans. Mais on revendique quand même l’idéal, c’est notre ligne d’horizon.
Et maintenant ? Maintenant on est à un tournant. Tout le monde se sent concerné par cet espèce de virage. Quand mes parents se sont installés, il y avait des gens qui étaient dans des systèmes de type industrialisé, de façon modeste à l’époque. Et des gens qui étaient sur des circuits plutôt courts, sur une agriculture plutôt paysanne. Et puis cette dualité s’est développée. Mais il y avait plein de gens entre les deux. Et, là, les gens se sentent obligés de choisir parce qu’on attise les peurs, les angoisses. On a réussit à mettre dans la tête des paysans qu’il y a trop de paysans, que oui, ils vont disparaitre. Mais non ce n’est pas vous, c’est le voisin, c’est celui qui a du lait qui n’entre pas des les normes, c’est celui qui n’a pas assez de vaches, c’est celui qui n’a pas le bac… Les gens se sentent obligés de choisir. Et on nous vend la dualité de l’agriculture. On nous dit « c’est possible, elles peuvent cohabiter, depuis la nuit des temps elles cohabitent ». Non, elles ne cohabitent pas. Il y en a une qui est en train de bouffer l’autre, tout simplement. Parce qu’il y en a une qui est aidée. Il y en a une qu’on subventionne pour bouffer l’autre. Il y en a une qui est prédatrice de l’autre. Il y en a une qui détruit les paysans. Et ça, ça nous importe à la Confédération paysanne. Il y a une agriculture de type industriel qui détruit les paysans. Et nous refusons cet état de fait. Et nous allons nous battre.
Nous allons nous battre, et pas seulement sur l’industrialisation de l’agriculture. On va se battre sur Notre-Dame-des-Landes. On va gagner. On le sait qu’on va gagner. On va gagner, on se le dit. Mais il y a des moments, quand on est proches de la victoire, on a ce petit relâchement coupable qui fait qu’on laisse passer la victoire. Donc on va se mobiliser, et sur Notre-Dame-des-Landes, on va gagner, parce que ce n’est pas le modèle de développement qu’on imagine. Parce que nous, à Notre-Dame-des-Landes, on veut des paysans, dans leur diversité. On veut des paysans nombreux, on ne veut pas d’un aéroport inutile.
On va gagner sur les OGM, parce que, au niveau européen, ils sont à nouveau autorisés. En France, il y a des lois qui disent que l’on ne veut pas d’OGM. Et on va se battre pour que ces lois tiennent, parce qu’on n’a pas envie que les multinationales fassent la loi chez nous.
Et on va se battre sur le loup. Ce week-end, quand je suis revenu de mon petit séjour à Amiens, j’ai découvert un mail d’Annie Sic, la maman de Valentin qui venait de voir son grand garçon passer deux jours en garde à vue dans des conditions pas très sympa. Elle mettait un mail en disant « attention, le loup a attaqué, le loup a frappé dans le Mercantour, il faut réagir ». Sur le loup, il va falloir qu’on agisse, parce que là c’est juste plus possible. C’est la cohabitation impossible. A une époque je disais que nous devions choisir entre deux espèces en voie de disparition : les bergers et le loup. Mais c’est faux, il n’y a plus qu’une espèce qui est en voie de disparition. Le loup est bien implanté. Et si on ne réagit pas, le loup va finir de faire disparaitre cette idée qu’on a du pastoralisme. Et ça va conduire une nouvelle fois à l’industrialisation de l’agriculture. Parce que si on ne veut pas que le loup attaque les moutons, et bien… on va les mettre dans des usines. Le loup, il ne va pas dans des usines.
Il faut qu’on prenne en compte l’élevage. Il faut qu’on prenne en compte cette énorme, cette insupportable disparité de revenus. Les céréaliers du bassin parisien, ils gagnent 96 000 euros par an. Moi, je ne me rends pas compte, ça doit faire une grosse somme. Les éleveurs de mouton gagnent 12 000 euros. Je me rends un peu mieux compte. Parce que les éleveurs, on est plus proches des 12 000 euros que des 96 000 euros. Et est-ce qu’on supporte ça ou est-ce qu’on se bat comme on s’est battu l’année dernière et les années d’avant pour réduire cet écart que la PAC a tendance plutôt à agrandir ? Il y a un petit infléchissement, mais ce n’est pas assez. 96 000 euros…. les mecs ils gagnent ça tous les ans…
Et puis l’année à venir, c’est la dernière année des quotas laitiers. On est entrés dans la dernière année de régulation du système laitier. Il était certes imparfait, il a fait disparaitre des producteurs, mais on n’imagine pas ce que ça va être quand ce système imparfait va disparaitre. Ce sera le grand flot de la demande qui va se déverser sur l’Europe et qui va emporter tout sur son passage. Et d’abord les plus faibles, parce que c’est toujours les plus faibles qui lâchent les premiers… Et donc on va se battre sur les quotas. On va aller proposer autre chose, on va revendiquer, on va faire tout ce que l’on peut. On va avoir cette ambition un peu folle de proposer quelque chose qui va permettre aux producteurs de lait de continuer à vivre nombreux, de refuser cette étude du CNIEL qui dit « vous êtes 70 000, vous serez 20 000 bientôt et ça sera bien ». Non, on ne veut pas être 20 000, on veut rester sur 70 000, voire plus !
Et puis il y a cette usine dans la Somme. Cette usine qui va nous amener à un procès, le 1er juillet. Ce jour-là, on est tous convoqués au procès de l’industrialisation de l’agriculture. Ça c’est important, c’est un gros temps fort, le premier qui arrive. C’est la grande mobilisation du moment pour la Confédération paysanne. On va aller à Amiens faire le procès de l’industrialisation de l’agriculture et des dérives du système. On va se mobiliser fortement parce qu’on est concernés, parce qu’on est concentrés.
Et puis il y a l’accord de libre échange aussi. Nouvelle vague, on ouvre les vannes, et puis les produits américains vont déferler sur notre sol, sans droit de douane ou avec des droits de douane atténués ou avec des normes qui ne sont pas les nôtres, et ils vont faire disparaitre aussi l’idée qu’on se fait de la paysannerie. C’est le bon et le méchant ? Non, ce n’est pas ça. Parce que les produits européens vont aussi aller détruire les paysans américains. Et ça non plus on ne l’accepte pas à la Confédération paysanne. On n’accepte pas plus que les paysans roumains, que les paysans américains disparaissent. Nous on veut des paysans partout dans le monde.
Pour finir, je dirais simplement que j’ai une grande fierté de cette Confédération paysanne, de notre Confédération paysanne. Parce que la Confédération paysanne, elle est pertinente. Elle est riche de sa diversité. On l’a vu pendant ces deux jours, on l’a vu dans les actions qu’il y a eu depuis l’automne. Elle est riche de son implantation sur tout le territoire, et ça c’est important. Quand j’ai vu la manif des céréaliers dans le Centre disant « il faut rééquilibrer, nous on gagne trop d’argent. Il faut en donner aux autres ». La Confédération paysanne est riche de sa diversité et de son implantation sur tout le territoire. Elle est riche de cette volonté qu’ont les citoyens d’adhérer à notre projet. Parce qu’on parle bien au-delà d’une politique agricole. Le projet d’agriculture paysanne concerne l’ensemble de la société. Il concerne l’alimentation, il concerne l’environnement, il concerne l’emploi en premier lieu. On a un projet, on est en dynamique. On va rester concernés, on va rester concentrés. Les digues s’apprêtent à céder. J’en suis persuadé. Et tous ensemble, parce qu’on ne gagne que si on est ensemble, on va y arriver. Moi je nous souhaite, je vous souhaite simplement, de rester pertinents… et impertinents aussi.